Coup de froid entre le gouvernement et les institutions juives de Hongrie

Estimant que le gouvernement hongrois cherche à minimiser le rôle de la Hongrie dans l’Holocauste, la Fédération des communautés Juives de Hongrie (MAZSIHISZ) menacent de boycotter les événements liés au 70e anniversaire de la tragédie. Dans un contexte électoral surchauffé.

Photo : Omar A cc.

Photo : Omar A cc.

Une série d’événements vont se dérouler toute l’année en Hongrie pour commémorer l’Holocauste qui a coûté la vie à approximativement un demi-million de personnes en Hongrie en 1944. Le gouvernement a mis en place un fond de 1,5 milliards de forint (5 millions d’euros) pour financer les projets de sensibilisation menés par des ONG et des collectivités locales. Un jour du souvenir des victimes de l’Holocauste a aussi été introduit, l’année précédente, dans les écoles hongroises.

Mais les institutions juives menacent de ne pas prendre part aux commémorations, leurs griefs à l’égard du gouvernement sont nombreux, comme on peut le lire sur le site internet de Mazsihisz :

« En raison de l’absence d’information sur l’idéologie du nouveau Centre de l’Holocauste à Józsefváros, en raison de ce qui s’est passé lors de la Conférence sur Horthy à la Maison de la Terreur, en raison de la falsification de l’histoire de la série « Histoires de sauvetage » sur Magyar Rádió, en raison de l’érection d’un mémorial de l’occupation allemande sur Szabadság tér, et en raison des déclarations du directeur de l’Institut « Veritas », Mazsihisz envisage sérieusement de s’abstenir de participer aux événements de l’Année de l’Holocauste ».

Mazsihisz réclame la démission de Sándor Szakály à la tête de l’Institut « Veritas » récemment créé par la volonté du 1er ministre, qu’il estime vouloir falsifier l’histoire et atténuer la responsabilité de l’Etat hongrois dans l’Holocauste :

« La direction du Mazsihisz est atterrée et trouve incompréhensible la relativisation de l’Holocauste par l’Institut « Veritas » mis en place par le gouvernement hongrois ».

Autre pomme de discorde : l’érection d’un mémorial sur Szabadság tér (la place de la Liberté) d’un monument commémorant l’occupation allemande de la Hongrie en 1944, perçue comme une autre tentative de présenter la Hongrie dans sa globalité comme une victime, alors qu’elle était alliée de l’Allemagne, et de dédouaner le rôle de son dirigeant Miklós Horthy dans les déportations.

Un groupe de 26 historiens a publié une protestation contre ce projet de mémorial, estimant qu’il « falsifie une période importante de notre histoire et relativise l’Holocauste« . Il déshonore la mémoire des victimes de l’Holocauste en Hongrie en faisant passer les auteurs de crimes hongrois comme des victimes, quand bien même les autorités hongroises ont participé activement à l’Holocauste, précise le document.

Dans une lettre ouverte adressé au Président du Mazsihisz, András Heisler, le 1er ministre Orbán maintient sa position et écrit :

« J’espère vivement que le 70ème anniversaire de l’occupation allemande de la Hongrie sera une bonne occasion pour les gens qui reconnaissent la perte subie par votre communauté et partagent votre chagrin de franchir une étape importante et collective vers une culture de respect ».

Dimanche lors d’une interview sur Lánchíd Rádió, le président du parlement Lászlo Kövér a estimé pour sa part que considérer que le projet de mémorial aux victimes de l’occupation allemande est un moyen pour l’état hongrois de se défausser de sa responsabilité est « un mensonge« . Le projet ne nécessite aucune explication selon lui, étant donné que le gouvernement a clairement fait savoir qu’il veut se souvenir de la destruction de centaines de milliers de « nos compatriotes juifs », ajoutant que :

« Nous ne pouvons pas accepter l’idée que nous devrions êtres constamment critiqués pour cette période tragique de notre histoire, comme s’il s’agissait d’un crime commis par neuf millions de fascistes ».

Selon lui, le Mazsihisz cherche à s’introduire dans la campagne électorale et à prendre le parti de l’opposition. En retour, l’opposition considère que ce projet de mémorial est destiné à draguer l’électorat de Jobbik.

Krisztián Ungváry : « les autorités hongroises ont déporté les Juifs avec enthousiasme ».

Dans un article publié mardi sur le site de l’hebdomadaire HVG, dont une traduction en anglais a été publiée sur Politics.hu, l’historien Krisztián Ungváry liste précisément ce qui sont selon lui les distorsions historiques liés au projet. En voici quelques-points : 

  • Les événements de 1944 sont bien plus compliqués qu’une histoire de « méchants » Allemands contre de « gentils » Hongrois, écrit-il.
  • Des pogroms avaient débutés bien avant cette invasion, dès 1938.
  • L’élimination de la nation hongroise ne figurait pas parmi les objectifs de l’invasion allemande ou même des plans nazis à long terme.
  • En mars 1944, la bureaucratie de l’Etat hongrois avait fait les préparatifs nécessaires pour mettre un terme à la vie de plusieurs centaines de milliers de personnes, en veillant à ce qu’ils se soient acquittés de leurs factures d’eau, d’électricité et des factures de gaz avant d’êtres chargés dans les wagons à bestiaux.
  • 99% des décès ont été causés par les autorités hongroises qui ont déporté les Juifs avec enthousiasme.

L’historien achève sa lettre comme ceci, preuve de sa fureur envers le gouvernement :

« Je peux peut-être terminer par une proposition modeste. Officiellement, pas une seule femme n’a été expulsée de Hongrie sans être soumise à un examen vaginal, pour veiller à ce qu’aucun actif national de valeur ne quitte le pays. Nous avons des dossiers très précis du travail effectué par les femmes qui ont fait ces recherches. Nous savons aussi que, afin de ne pas gaspiller l’argent de la nation et pour des raisons de rapidité, ces femmes ne changeaient pas leurs gants en caoutchouc : elles en utilisaient un seul toute la journée, sans désinfection. L’Archange Gabriel ne symbolise pas exactement cela [le monument inclue une représentation de l'Archange Gabriel qui fait référence à l'innocente Hongrie, face à un aigle Impérial, le IIIe Reich]. Mais si les autorités veulent néanmoins construire un monument, qu’ils en construisent un pour les femmes qui ont effectué ces recherches. L’emplacement, sur Szabadság tér, est parfait, car il est juste en face de la Banque nationale de Hongrie ».

Dans un article publié au début de l’année 2012, l’écrivain Ákos Kertész, lauréat du Prix Kossuth en 2008, avait brutalement (et maladroitement) dénoncé l’attitude des autorités mais aussi de l’ensemble du peuple hongrois.

« Les Hongrois n’ont aucun remords concernant leurs crimes commis tout au long de l’Histoire, rejettent leurs responsabilités sur les autres et sont les premiers à blâmer leurs voisins […]. Ils sont incapables et refusent de tirer des leçons du passé ».

Il a fallu attendre la fin du communisme en 1990 pour que la Hongrie puisse se confronter à son histoire et à son rôle d’alliée de l’Allemagne dans la seconde guerre mondiale. La Hongrie avait fait un mea culpa historique au début du mois d’octobre, son ministre des Affaires étrangères János Martonyi déclarant que :

« l’Holocauste est notre plus grand traumatisme national. Il a été commis par des Hongrois contre des Hongrois ».

Avec plus de 100 000 individus, la Hongrie abrite la plus importante communauté juive d’Europe centrale et l’antisémitisme a fortement augmenté ces dernières années. Un rapport publié au début du mois de novembre par l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne montrait que c’est en Hongrie et en France que l’antisémitisme est le plus fortement ressenti par les personnes juives. En cause notamment : l’arrivée sur la scène politique du parti d’extrême-droite Jobbik, surfant sur la crise, qui a libéré la parole antisémite. Il a recueilli 17% des votes et envoyé 43 députés sur 386 au Parlement aux élections de 2010, mais sa popularité est en baisse.

Sources : Ouest-France, MTI, Hungarian Spectrum

3 Commentaire

  1. Ce qui est le plus rigolot dans cet article c’est que l’état hongrois effectuait les déportations des juifs: « en veillant à ce qu’ils se soient acquittés de leurs factures d’eau, d’électricité et des factures de gaz ».
    Ce qui veut dire qu’en Hongrie il y avaient du gaz, de l’electricité et de l’eau dans tous les foyers en 1944 (!!!). Sachant que Horty a réuissi a stopper pendant longtemps les déportations des juifs de Budapest, ils étaient déportés surtout de la campagne hongroise. L’auteur de cet article ignore complétement les réalités hongroises, espérons qu’il sait quand méme quelque chose sur le sujet et n’invente pas tout.

    D’autre part, Mazsihisz veut interdire l’érection d’une statue commémorant l’occupation allemande de la Hongrie en disant que ca falsifie l’histoire. L’occuaption allemande est un fait de l’histoire. Le nier n’est pas la falsification de l’histoire?

  2. Est-ce que la MAZSIHISZ se rend compte du mal qu’elle fait à sa propre communauté en adoptant cette attitude immonde que certains simplets ne manqueront pas de généraliser à toute la communauté juive ?
    Le gouvernement a fait une déclaration officielle en plein Parlement, il dépense des fortunes pour le Mémorial de l’Holocauste EN PLUS du monument de l’Occupation allemande, et la MAZSIHISZ OSE chouiner et pester sous prétexte que l’on mentionne ÉGALEMENT les souffrances des Hongrois ? Quelle honte ! Ils n’en ont jamais assez ???
    Ils veulent boycotter ? Qu’ils boycottent ! Ils mériteraient que le gouvernement annule tout simplement tous les projets de commémoration et bien sûr le Mémorial, pour leur apprendre à vivre et à savoir apprécier ce qui est fait pour eux !
    (PS : si dans la famille dépenses inutiles le gouvernement pouvait aussi annuler ces stades de foot à la c*n ce serait également bienvenu !)

  3. Francois WEISZ a dit :

    Cela me fait mal de lire qu’actuellement il y a encore des hongrois, soi-disant instruits, informés qui pensent que les gendarmes hongrois ont mal fait leur travail en voyant les pauvres déportés revenir d’Auschwitz -Birkenau… Mes parents ont même entendu les pauvres hongrois dire qu’il en était revenus plus qu’il n’en était partis… Le peuple hongrois a souffert, certes, toute l’Europe a souffert.

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