L’ État de droit menacé en Hongrie

Par Benjámin Vargha et Corentin Léotard

Le parlement hongrois débute ce lundi une session de deux jours au terme de laquelle pourrait être votée la 4ème modification de la constitution en vigueur depuis le 1er Janvier 2012. Selon plusieurs associations civiles, ces amendements porteraient gravement atteinte à l’Etat de droit en Hongrie.

Rue de la Constitution

Ces modifications de la constitution auront pour effet d'affaiblir le contrôle exercé par la Cour constitutionnelle sur le Parlement. En excluant les références aux décisions de la cour constitutionnelle adoptée avant la loi fondamentale du 1er janvier 2012 et en interdisant à la cour constitutionnelle d'examiner la constitutionnalité de fond des projets d'amendements à la Loi fondamentale, explique l'ONG hongroise pour les libertés civiles TASZ (Társaság a Szabadságjogokért).

Ces modifications prévoient aussi d’insérer des dispositions pour jeter des bases constitutionnelles à des projets de loi controversés et qui avaient été précédemment jugés anticonstitutionnels : restreindre la notion de famille ; interdire les publicités politiques dans les médias publics ; faire du sans-abrisme un délit ; violer la liberté de religion et remettre en cause la séparation de l'Eglise et de l'Etat ; abolir l'autonomie financière des universités ; imposer le contrat étudiant contraignant les étudiants boursier à travailler plusieurs années en Hongrie.

"La quatrième modification de la Loi fondamentale porterait gravement atteinte à l’Etat de droit en Hongrie", mettent en garde dans un communiqué commun trois associations de défenses des libertés civiles : TASZ, le Comité Helsinki et l’Institut Eötvös Károly. Au cours d’une manifestation samedi après-midi à Budapest, Dr. Marta Padravi, co-présidente du Comité Helsinki, s’exprimant au nom de ces trois ONG a déclaré : "Après la 4è modification de la Loi fondamentale il faut en finir avec l’illusion que l’élite politique actuellement au pouvoir est engagée à la constitutionnalité et à la démocratie".

"La Hongrie ne sera plus un État de droit"

Balázs Tóth, juriste et leader de programme au Comité Helsinki met en garde : "Avec cette modification, il n’existera plus de contre-pouvoirs constitutionnels et la Hongrie ne sera plus un État de droit. Le droit ne pourra plus réguler les actes de la majorité politique au pouvoir".

"Tout ce que l’on a connu jusqu’ici comme barrières constitutionnelles cessera d’exister. Désormais, on peut écrire n’importe quoi dans la Loi fondamentale et cette modification exclue aussi tout recours légal contre des modifications absurdes de la constitution", déplore pour sa part Máté Dániel Szabó, juriste expert de la protection des données et directeur de l’Institut Eötvös Károly.

Máté Dániel Szabó estime que, bien que la constitution de 1989 n’était pas parfaite, la Loi fondamentale entrée en vigueur en 2012 représente une régression significative. Rappelant qu’une mauvaise constitution est préférable à pas de constitution du tout, il prévient qu’en cas de ratification, celle-ci ne disposera plus des attributs d’une constitution : elle  n’aura plus d’aspect contraignant et ne défendra pas l’individu face au pouvoir public, mais défendra les actes du pouvoir public face à la constitutionnalité. Après cette modification, la constitution va assurer une protection constitutionnelle à des mesures anticonstitutionnelles, explique-t-il.

Tous les juristes ne sont pas au diapason cependant sur l'interprétation de cette modification de la constitution et sur ses conséquences possibles. Gergely Gulyás, expert de droit constitutionnel et vice-président du groupe parlementaire Fidesz (le parti de Viktor Orbán) conteste ces interprétations dans une interview publiée le 8 mars sur le site Index.hu. Parmi d'autres désaccords avec les détracteurs du projet gouvernemental, il estime que "cet amendement ne restreint en aucun cas les attributions de la Cour constitutionnelle, la Cour elle-même n’a pas formulé une telle critique […]. En Hongrie et en Allemagne les limites de la liberté d’expression sont plus strictes, aux États-Unis elle n’a pratiquement aucune limite. On considère tout de même légitimement ces deux pays comme des démocraties. Si le parlement souhaite limiter ou élargir ces cadres démocratiques vagues, il en a le droit. Les instances du pouvoir d'État sont séparées, mais le pouvoir constituant n’appartient qu’au Parlement".

Le président Áder, le dernier recours

Si le gouvernement ne renonce pas au vote prévu ce lundi ou mardi sous les pressions internationales, il ne fait aucun doute qu'avec la majorité des deux-tiers dont dispose la coalition Fidesz-KDNP, le parlement va adopter ces modifications de la constitution.

Il faudra ensuite se tourner vers le président de la République, János Áder, qui disposera de 5 jours pour ratifier les amendements, ou mettre son veto en saisissant la Cour constitutionnelle.

"Est-ce que le Président sera moralement capable de s’identifier avec la position de gardien principal de la démocratie et d’envoyer le texte à la Cour constitutionnelle ?", interroge le juriste Máté Dániel Szabó. C’est peu probable selon lui, étant donné qu’il est un membre fondateur du Fidesz et n’a quitté le parti qu’après avoir été élu président de la République.

Szabolcs Hegyi, en charge du programme des libertés politiques publiques à l’ONG hongroise pour les libertés civiles TASZ estime qu’"étant donné que le président de la République est le gardien principal de la démocratie, il ne pourra pas l’approuver. Il a donc deux possibilités : soit il saisit la cour constitutionnelle, soit il démissionne. S’il signe la modification, il rend manifeste qu’il n’est pas le gardien de la démocratie, mais bien l’exécuteur des vœux des partis au pouvoir".

Toutefois, les chances d’un veto présidentiel sont loin d’êtres nulles car cette 4ème modification de la constitution affaiblit le rôle du président, en intégrant des amendements qu’il avait refusé d’approuver ces derniers mois, la nouvelle loi électorale, par exemple.

Le médiateur de la République a exhorté Janos Ader à ne pas signer l'amendement, estimant que "cette situation pourrait mettre en péril l’équilibre du fonctionnement démocratique des institutions d’Etat".

L’opposition se met en branle

Dans l’opposition, beaucoup voient de la part du gouvernement un acte de représailles à l’encontre de la Cour constitutionnelle qui lui avait infligé de sérieux revers en invalidant plusieurs lois au cours de ces derniers mois, dont la loi électorale et la loi sur les sans-abris… que l’on retrouve désormais dans les 15 pages d’amendements à la Loi fondamentale soumis au parlement cette semaine.

Lire notre article : « Manifestation contre la 4è modification de la constitution ».

Une nouvelle manifestation est prévue ce lundi. Dès jeudi, quelques manifestants avaient squatté pendant quelques heures la cour du siège de la Fidesz, le parti du 1er ministre Viktor Orbán. Samedi après-midi, plusieurs milliers de personnes ont manifesté à Budapest à quelques pas du parlement, dans Alkotmány utca (la rue de la constitution). Une répétition générale avant la fête nationale de ce vendredi 15 mars, pendant laquelle les partis d’opposition devraient mobiliser amplement dans la rue contre cette modification de la constitution.

Vers un nouveau clash avec l’Europe

Après de sérieuses passes d’armes il y a deux ans au moment de l’adoption d’une loi sur les médias controversée, puis l’entrée en vigueur de la nouvelle constitution un an plus tard, il faut s’attendre à une nouvelle période de tumulte entre Budapest et Bruxelles.

Dès la semaine dernière, le secrétaire général du Conseil de l'Europe, Thorbjon Jagland, a exhorté Budapest à reporter le vote. Vendredi, c’est le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, qui a téléphoné à Viktor Orban pour lui demander de modifier le texte pour le mettre "en conformité avec les principes démocratiques de l'UE".

Les critiques arrivent aussi d’outre-Atlantique puisque le département d'Etat américain a estimé que "les principes de l'indépendance institutionnelle" et devaient être revus et corrigés.


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10 Réponses »

  1. Excellente analyse, claire, qui résume parfaitement la situation.

  2. terrifiants les proposs de Gergely Gulyás...le sommet de l`arrogance Fideszienne...

  3. Les entreprises étrangéres viennent de mettre un blocage juridique pour que le gvt hongrois puisse baisser le prix de gaz, d'électricité et de chauffage actuellement le plus élevé d'Europe gráce aux gvts gyurcsán-bajnai. Elles peuvent le faire, puisqu'elles dirigent la Hongrie. Quelle dictature d'Orbán! Vous rigolez de prendre au sérieux cet article?

  4. Pour compléter cette information: Pourquoi criez-vous á la dictature en Hongrie et vous taisez vous en méme temps quand vos chers compatriotes de gdf suez interdisent au gvt Hongrois de mettre fin en Hongrie au prix de gaz le plus élevé d'Europe!!! et quand orbán souhaite baisser de 10% (!) le pillage de gdf suez en Hongrie, gdf suez gagne un procés pour continuer ce pillage. Qui fait la dictature en Hongrie donc? Orbán ou gdf suez?
    Merci de nous laisser vivre tranquillement! Si la Hongrie telle que nous avons décidé qu'elle soit ne vous plait pas, merci de rentrer chez vous! Un grand merci!

  5. Précision: le texte du quatrième amendement regroupe les sujets les plus divers qui ont déjà fait l'objet d'une annulation par la Cour Constitutionnelle ou qui pourrait faire l'objet d'une telle annulation. C'est concrètement ce qui fait dire aux juristes que l'Etat de droit disparaît (puisque les textes rejetés par la Cour constitutionnelle) sont automatiquement élevés dans la Constitution. Pour éviter d'autre part que la Cour constitutionnelle ne rejette d'autres textes liberticides dans le futur, le quatrième amendement annule notamment la jurisprudence constitutionnelle antérieure, donc la constitution actuelle devient le seul point de référence.
    Gulyas Gergely n'est pas un éminent juriste constitutionnaliste, c'est juste un juriste très jeune nommé à la tête du comité de rédaction de la nouvelle constitution. La Hongrie compte d'éminents constitutionnalistes (profs de fac, juges constitutionnels etc.) mais à ma connaissance aucun d'eux n'a participé directement à la rédaction de la nouvelle constitution. Par ailleurs ceux qui ont été invités à faire des propositions au comité constitutionnel ont vu leurs propositions systèmatiquement rejetées noatmment par ledit Gergely Gulyas. C'est la technique du pouvoir actuelle: choisir des "senki", des gens de rien du tout pour prendre les décisions, des gens qui doivent tout personnellement à une personne, voyons quelle personne???

  6. Les tarifs de la régie (gaz, électricité), parlons-en !
    Ils sont au prix du marché et, s'ils sont chers pour les ménages hongrois, c'est tout bonnement parce que le ménage hongrois moyen a des revenus de plus en plus faibles, en chute darmatique.
    Et puis 27% de TVA. Est-ce normal ? La plus élevée (et de loin) en Europe.
    Alors que V.Orbán cesse ses campagnes démagogues et commence par abaisser la TVA et réintroduise le dégrevenent fiscal sur les bas salaires, s'il aime tant le peuple.
    Quelle hypocrisie !

  7. "Ces modifications de la constitution auront pour effet d'affaiblir le contrôle exercé par la Cour constitutionnelle sur le Parlement. En excluant les références aux décisions de la cour constitutionnelle adoptée avant la loi fondamentale du 1er janvier 2012 et en interdisant à la cour constitutionnelle d'examiner la constitutionnalité de fond des projets d'amendements à la Loi fondamentale"

    Le rôle, ou la tâche, d'une cour constitutionnelle est d'examiner la correspondance des lois aux préceptes de la Constitution laquelle est seule prérogative du Peuple organisé en forme parlementaire.

  8. Pierre, ce qui n'est pas vrai dans ce que vous écrivez:

    1. Le gaz n'est pas au prix du marché, son prix est déterminé par Magyar Energia Hivatal. Les gvts précédents ex-communistes ont permis d'augmenter le prix du gaz á plus de 200% !!!!!!!!!! C'est ce que le gvt actuel souhaite enfin corriger! Le prix du marché ne justifie point ce prix ! Si gdf suez n'en ai pas d'accord, merci de retourner en France. Curieusement il ne veux pas......C'est bizarre, non?

    2. "Les revenus en chute dramtaique" Vous rigolez que c'est á cause du gvt actuel que les salaires sont ridicules et non pas á cause des 8 ans de régnes ex-communistes???? Merci de regarder "les bienfait" de gyurcsány-bajnai (chómage doublé, dette publique doublée..........).

    Mais vous avez raison que la TVA a été augmentée de 25% á 27% par orbán ce qui est exagéré.

  9. Je ne comprend pas. Si Gdf-Suez pille la richesse du pays (sauf que le gaz vient de Russie) pourquoi Orban ne le nationalise pas? Ah oui j'oubliai, parce que les caisses sont vides. Le gros probleme c'est qu'a se facher avec tous les investisseurs etrangers, Orban joue avec le feu (Michelin vient d'annoncer qu'ils quittaient le pays). L'economie hongroise depend majoritairement des investisseurs etrangers, c'est un fait (on peut le deplorer ou non mais c'est comme ca), alors il faudra que vous nous expliquiez comment l'economie hongroise pourra survivre si tous les investisseurs (et les capitaux etrangers s'en vont). Deja une bonne nouvelle aujourd'hui, le Forint est au plus bas face a l'Euro (les investisseurs etrangers prennent peur et retirent leur capitaux du pays). Avec les prets du hongrois moyen toujours majoritairement indexes sur le Franc Suisse, je pense que la devaluation du Forint est une catastrophe pour tous les menages endettes qui vont voir leurs mensualites encore augmenter. Et György Matolcsy lors d'une interview à la chaîne de télévision américaine CNN, a ose comparé le « modèle économique hongrois » à un « conte de fées », surealiste!!!

  10. Vous ne trouvez pas exagéré de reporcher au gvt d'Orbán que les caisses d'état sont vide? Selon vous ce ne sont pas les ex-communistes gyurcsány-bajnai qui l'ont vidée? Les chiffres ne vous cofirme pas.
    Le probléme des entreprises étrangéres en Hongrie c'est qu'elles ont racheté la plupart des entreprises hongroises dans le seul but de les fermer (Taurus, Óbudai Hajógyár - lá je pourrais vous donner des détails... - Győri Keksz......). Je ne sais pas si vouv vivez en Hongrie, mais avez-vous déjá comparé les prix de communication téléphonique en Hongrie et en France? Avez-vous déjá comparé les taux de crédit proposés par les banques étrangéres chez nous et dans le pays de leur origine? Savez-vous que beaucoup de Hongrois (ceux qui peuvent se le permettre) vont en Autriche pour les crédits bancaires, pour acheter des vétements, de la nourriture parce que lá bas c'est beaucoup moins chers et n'est pas trés loin? Savez-vous que le gvt actuel vient d'interdire á Auchan, tesco, cora d'arréter de discréditer les produits hongrois en faveur de leur produits? Ce qu'ils ont fait sans géne jusqu'á présent!
    Et passons de l'affaire sodexho - c.d. il volaient des milliards de Ft chaque année et oui, le gvt actuel a réussi á les mettre dehors. Maintenant cette revenu reste aux Hongrois.
    Ce qui N'est pas vrai non plus: Les entreprises étrangéres continuent et continueront á "investir" en Hongrie (mercedes, audi, volvo pour ne mentionner que les plus grands).

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