Après avoir célébré avec pompe trois anniversaires majeurs de son histoire récente en 2014 – 25 ans de démocratie, 15 ans d’adhésion à l’OTAN et 10 ans d’appartenance à l’Union européenne –, la Pologne fait déchanter. Introduction à une série d’articles qui permettent de mieux comprendre la « contre-révolution culturelle » en cours dans le pays.
L’élection surprise d’Andrzej Duda à la présidence de la République en mai 2015, puis la formation six mois plus tard d’un gouvernement de la même tendance et appuyé au Parlement par une majorité absolue (une première depuis 1989) semblent marquer un tournant radical aussi bien dans les affaires intérieures que dans la politique étrangère du pays. Après une année de pouvoir sans partage, le parti Droit et Justice (PiS) conserve une solide cote de popularité et n’apparaît pas près de céder aux pressions de ses partenaires et des institutions internationales, qui dénoncent de multiples atteintes à la démocratie. Quel est le bilan de cette année de règne ?
« L’intérêt de ce pays, l’intérêt de cet État exigeait la destruction de l’ancien système […]. N’oublie pas que la maladie de cette société résulte, entre autres raisons, du fait que chez nous, le bien n’a jamais été séparé du mal. Nous n’avons pas célébré de moment d’inauguration, nous n’avons pas vécu de rupture entre temps anciens et temps nouveaux, les changements se sont déroulés dans une confusion totale, je dirais dans un genre de gris. »
C’est dans ces termes que se confiait Jarosław Kaczyński à la journaliste Teresa Torańska… au début des années 1990[1]Teresa Torańska, My (Nous), MOST, Varsovie, 1994., lorsque la Pologne accomplissait sa double transition vers la démocratie libérale et l’économie de marché. Le courant politique de Jarosław Kaczyński, conservateur dans les questions tant économiques que sociétales, s’est alors retrouvé marginalisé face aux anciens communistes reconvertis à la social-démocratie ainsi qu’aux libéraux.
Pour Jarosław Kaczyński, cette défaite est le fruit d’un arrangement entre l’ancien régime et une partie de l’opposition démocratique pour se partager le pouvoir et le patrimoine de l’État polonais en voie de démantèlement. Faute de rupture nette, la Pologne ne serait jamais véritablement sortie du communisme : la IIIe République, nom donné à la période ouverte avec les premières élections libres de 1989, est illégitime et une nouvelle révolution est nécessaire.
Jarosław et son frère jumeau, Lech Kaczyński, disposent d’une première chance de mettre leur plan à exécution en 2005. Leur nouveau parti, Droit et justice (PiS), fondé en 2001 sur la base des structures des années 1990, remporte les élections parlementaires et la présidence de la République. Toutefois, le PiS n’obtient pas la majorité absolue des sièges et il semble possible de réunifier l’ancienne opposition démocratique au sein d’une grande coalition avec les libéraux de la Plateforme civique (PO).
En fin de compte, les héritiers de Solidarność échouent à s’entendre, autant – si ce n’est plus – pour des raisons d’ambitions personnelles que de différences de programme. Le PiS amorce un virage à droite en s’alliant de façon inattendue avec la Ligue des familles polonaises (LPR), ouvertement catholique-nationaliste, et le mouvement populiste d’Autodéfense.
Cette coalition durera à peine quinze mois, mais l’expérience de l’« ordre moral » traumatisera une partie de la société polonaise et la vaccinera de façon durable contre le PiS. En octobre 2007, les élections parlementaires anticipées attirent une participation record et provoquent l’alternance : la PO récolte 41,5 % des voix contre 32,1 % pour le PiS, soit un écart d’1,5 million de bulletins.
La tentative de fondation d’une IVe République est avortée, mais fait tout de même quelques victimes. Le suicide de l’ancienne ministre Barbara Blida est ainsi en partie attribué aux services secrets et au parquet. Au nom de la lutte contre la corruption et les réseaux d’influence des ex-communistes, ils organisent sur ordre du gouvernement des arrestations télévisées et de grandes campagnes de « lustration » qui aboutissent à des dénonciations en place publique.
Grâce à l’épouvantail du PiS, la Plateforme civique (PO) sera le premier parti depuis 1989 à être reconduit au gouvernement. Elle remporte les élections législatives de 2011 et son chef Donald Tusk occupe la fonction de Premier ministre pendant sept ans – une performance invaincue à ce jour – avant d’être nommé à la tête du Conseil européen. Son départ pour Bruxelles est d’ailleurs considéré comme l’une des causes de la défaite de la PO en 2015 et selon certains, seul son retour dans le jeu politique national pourrait sauver le parti.
Derrière le succès polonais, la société est divisée comme jamais (1/5)
La « trahison » de Smolensk alimente encore la guerre des droites polonaises (2/5)
En Pologne, une contre-révolution qui ne dit pas son nom (3/5)
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Notes
1. | ↑ | Teresa Torańska, My (Nous), MOST, Varsovie, 1994. |