Orbán et le FMI : la vérité si je mens…

Tout amateur d’opéra italien garde en tête ce fameux air de la calomnie du Barbier de Séville où Don Basilio explique à Bartolo comment compromettre le soupirant de sa pupille : en laissant négligemment s’échapper une légère rumeur apparemment inoffensive qui, grossissant, va culminer dans une calomnie assassine.

Débutant en douceur, pianissimo, la musique de Rossini prend peu à peu de l’ampleur dans un lent crescendo pour finir par éclater dans un énorme tintamarre fortissimo. Pour Viktor Orbán, apparemment moins raffiné, nul besoin de ce stratagème : ses partitions débutent généralement d’emblée sur un  fortissimo.

Photo d’illustration : Il barbiere di Siviglia, opéra de Gioacchino Rossini (Crédit : Patrice Nin)

Dernier exemple en date, jeudi 6 septembre. S’adressant par vidéo-conférence aux députés de sa coalition réunis en congrès, Viktor Orbán se réfère à une liste de 15 exigences formulées par le FMI comme condition à l’obtention d’un crédit. La liste est publiée le matin même dans le quotidien Magyar Nemzet, acquis au gouvernement. Exigences que le Premier ministre qualifie de contraires à l’intérêt du pays, inacceptables et qu’il rejettera donc, en bon défenseur du peuple. Des exigences effectivement bien sévères, telles la diminution des pensions de retraite parallèlement à un recul de l’âge de la retraite, la diminution des allocations familiales, une augmentation de l’impôt sur le revenu et même – comble de cynisme – un financement du secteur bancaire !

Sauf qu’une telle liste n’a jamais existé, le FMI n’a jamais posé de telles exigences. La lettre à laquelle se référait Viktor Orbán date du 25 juillet (rédigée en commun par le FMI et les représentants de l’Union européenne). Une lettre tenue secrète par son destinataire (1). Déjà suspectes pour ceux qui connaissent bien le FMI, les allégations du Premier ministre ont été presque aussitôt (en quelques heures à peine) démenties par la publication du contenu de ladite lettre sur un site réputé pour son sérieux, Index.hu. Une publication qui en reprend tous les détails. Des remarques générales d’ordre macroéconomique et relatives au budget, mais sans exigence vraiment précise, mis à part trois recommandations relatives aux prérogatives de la Cour constitutionnelle, au respect de l’indépendance de la Banque centrale et à l’abandon de l’impôt exceptionnel sur les banques et le secteur des télécommunications.

Le lendemain vendredi 7, le porte-parole de l’UE, Olivier Bailly, puis la responsable de l’antenne FMI de Budapest, Irina Ivachtchenko, déclaraient tour à tour avoir relevé de nombreuses „inexactitudes” dans la liste publiée par le Magyar Nemzet (à laquelle se référait Orbán). Bref, une précaution diplomatique pour dénoncer ni plus ni moins qu’un mensonge.

Le but de l’opération pour Viktor Orbán ?  Mettre sur le dos du FMI des mesures d’austérité drastiques auxquelles le gouvernement sera contraint de recourir pour faire face à un trou abyssal de 600 milliards HUF dans le budget 2013 ? Ou tout bonnement rendre le FMI responsable d’un échec (programmé) des négociations ? Difficile à dire, tant la situation est confuse. Les déclarations du Premier ministre se contredisant jour après jour. Mercredi 5 septembre : «un accord sera conclu cet automne» ; jeudi 6: «pas d’accord ! » ; vendredi  7: «nous allons soumettre une contre-proposition pour l’aboutissement d’un accord ». Bref, qui vivra verra. (2)

La presse achète sans broncher

Le problème : reprise par l’édition numérique du journal Le Monde dans l’après-midi du 6 septembre, une dépêche de l’AFP rapportait bien les propos de Viktor Orbán  et se référait bien à la liste publiée le 6 au matin dans Magyar Nemzet, mais ne précisait pas qu’il s’agissait d’une liste inventée de toutes pièces, bref, d’une opération de bluff. Pour cause, mise sur le net à 16h40, la dépêche a précédé de peu le moment où allait tomber la révélation sur le site d’Index.hu. Pas de chance. sauf qu’ensuite, aucun démenti n’a été fourni par les médias français. Et sauf que tous les observateurs doutaient déjà fortement de la véracité de cette liste et restaient sur leurs réserves…

Dans le même ordre d’idées, toujours reprise dans Le Monde.fr (mais aussi dans d’autres médias), une dépêche de l’AFP relatant l’affaire de l’extradition du criminel azéri Safarov affirmait que celui-ci avait aussitôt été grâcié «en dépit des assurances données par Bakou à Budapest». Version effectivement avancée par les représentants du gouvernement hongrois. Demi-vérité, qui vaut demi-mensonge… Tout le monde le savait, sauf que la presse française, quand elle a bien voulu traiter le sujet, a préféré jouer la carte de la naïveté(3).


 

(1): deux constats: alors qu’il était sur place, Viktor Orbán a choisi de faire sa déclaration par video interposée, s’évitant ainsi les questions de la presse. Et pourquoi avoir attendu un mois et demi (de fin juillet à mi-septembre) pour réagir ?

(2): les négociations traînent depuis maintenant 10 mois (novembre 2011), ce qui laisse planer le doute quant à la réelle intention de la partie hongroise (faire durer le jeu pour rassurer les marchés ?).

(3): une presse française plutôt discrète, à la différence de la presse anglo-saxone. Quant à la carte de la naïveté, on croit maintenant savoir qu’elle avait été délibérément choisie face à la version intérêts financiers (source MKI, Institut des Relations étrangères)

Pierre Waline