Une législation adoptée le 15 mars renforce à la fois le droit à l’image des individus et les contraintes pesant sur les reporters photographes.
Vous souvenez-vous des photos prises à l’arrachée par un Henri Cartier-Bresson, un Robert Doisneau ou un André Kertész, cherchant à attraper dans les rues de Paris un instant volé à la réalité du monde ? Merveilles d’esthétique et de vérité ! Pourtant, en Hongrie, pays de naissance du célèbre photo-reporter Robert Capa, le désir des photographes, amateurs ou professionnels, risque de se heurter à une nouvelle législation quelque peu restrictive en matière de droit à la diffusion de photos mettant en scènes des quidams, célèbres ou quelconques.
En effet, un appendice du code civil hongrois entré en vigueur le 15 mars stipule qu’il convient dorénavant de requérir l’aval des personnes photographiées afin que soit respecté leur droit à l’image et la protection de leur vie privée. Seuls seraient admis, sans demande d’autorisation des personnes photographiées, les clichés pris lors de manifestations ou de mouvements de foules. Les personnalités publiques sont exclues. Cette loi renforce une loi déjà existante, mais qui s’appliquait uniquement à la question de la publication.
Dès lors qu’une photo est publiée sur un support médiatique, le droit à l’image devient évident et essentiel – ce même droit à l’image qui s’applique aussi en France et dans d’autres pays européens. La nouvelle loi va encore plus loin car elle s’applique cette fois-ci avant même que la photographie ne passe à la publication, et même si celle-ci n’est pas retenue et jetée aux oubliettes : cette autorisation devient nécessaire dès lors que le cliché est pris car il met en jeu le droit à l’image d’individus pas forcément avertis de la présence d’un objectif dirigé sur eux.
Une nouveauté majeure introduite par cette loi est relative au statut des forces de l’ordre qui, de fait, se voient exclues de la catégorisation « Personnages publiques ». Leurs visages ne pourront apparaître que pixellisés ou floutés afin qu’on ne puisse discerner leur identité. Cette distinction s’applique d’ailleurs aussi en France si les photos prises ne servent pas à étayer ou à illustrer un sujet d’actualité (distinction qui n’existe pas dans la nouvelle normative hongroise).
Complexifier le travail des journalistes
Évidemment, il est notifié que cette loi ne s’applique pas dès lors qu’il y a consentement à être photographié. Mais elle risque de complexifier un peu plus le travail des journalistes et des photo-reporters qui pourraient se voir dans la quasi-impossibilité de photographier certains événements au prétexte de non-consentement préalable aux clichés. Ce qui gêne de surcroît c’est que, s’il fallait se plier à cette directive qui, en-dehors du cadre légal de publication, apparaît quasi inapplicable, la mise en place réelle de ces recommandations donnerait une tonalité déconcertante à nos shooting photo.
Faut-il, avant de prendre une photo d’une personne marchant dans la rue, demander au préalable l’agrément de ladite personne avant de la photographier sous peine de se confronter à l’ire de la personne demandant dédommagement ? Ou bien faut-il d’abord prendre la photo puis demander l’autorisation pour l’avoir prise ? Et si nous nous retrouvons dans un cliché de rue, pourquoi ne pourrions-nous pas demander dédommagement pour le droit à l’image ? Autant de questions qui montrent que finalement cette loi n’a pas vraiment pour but de brider les élans photogéniques des photographes du dimanche – qui donc effectivement ne pourrait succomber aux lumineuses beautés de Budapest au printemps ? – mais elle vise avant tout une application plus médiatique, visant à complexifier le travail des journalistes et reporters qui se sont inquiétés d’ailleurs de cette loi.
Éloigner les journalistes de certaines zones
Márton Magócsi, éditeur de photos sur le site d’information Origo.hu, considère « qu’avoir à demander la permission au préalable est plutôt irréaliste dans le cadre d’un reportage ». Mais surtout il pointe le risque premier de cette modification de loi :
« Nous craignons que cela ne débouche sur une cascade de poursuites. Si les gens dans la rue commencent à en référer à cette loi, cela sera plus difficile pour les photojournalistes de travailler. Le vrai danger est que les compagnies privées de sécurité ou la police essayent d’éloigner les journalistes de certaines zones, ou préviennent les membres d’un public de ne pas se laisser photographier. »
Reste donc à voir comment cette loi trouvera son application. Mais qu’on ne s’inquiète pas de trop, il reste quand même les selfies : personne ne pourra dire que vous n’étiez pas consentants. Encore que, des fois, on se demande…
Matthias Quemener
Le droit à mon image surclasse toutes autres considérations! Je veux être (sans consentement) ni photographié ni publié! Le respect avant tout même si cela complique le travail de certains. Il suffit de voir à l’entrée des kiosques des pages XXL des photos et des titres racoleurs et moralement en dessous de tout pour juger ce que ces « honnêtes travailleurs » qui sont les photos reporteurs font de nos images… Franchement, je ne peux qu’applaudir pour des lois qui réglemente séverement certaines activités (et dérives quotidiennes). D’autres devraient s’en inspirer!