La Hongrie est divisée comme jamais elle ne l’a été

Après la nuit de dimanche, deux réalités parallèles sont apparues en Hongrie. Dans l’une, le Fidesz perdait, parce que le référendum a été invalidé en dépit de la campagne électorale la plus dure de l’histoire politique hongroise. Dans l’autre, les opposants aux migrants gagnaient dans les urnes, parce que plus de 3 millions d’électeurs ont voté «non». Le problème n’est pas qu’il y ait plusieurs interprétations possibles, le problème c’est que ces deux interprétations ne peuvent pas cohabiter ensemble.

Article publié le 3 octobre 2016 dans Kettős Mérce. Traduit du hongrois par Ludovic Lepeltier-Kutasi.

Le Fidesz a créé une no go zone politique où n’entre pas toute interprétation de la loi et de la réalité qui ne soit pas en faveur du gouvernement. Sur la page d’accueil d’Origo lundi matin ne figurait aucune déclaration de l’opposition. Dans l’émission de dimanche sur la M1, il ne fut fait aucune allusion à l’invalidité du scrutin après l’annonce des résultats. Viktor Orbán n’en a pas parlé, et tous les journaux pro-Fidesz ont passé sous silence le simple fait que si le référendum a échoué, c’est du fait de son invalidité et qu’il n’ait mobilisé comme escompté. Ce qui est quand même un peu l’enjeu de ce type de scrutin.

Cette no go zone a aidé le Fidesz à mobiliser 3,2 millions de personnes en faveur du «non». Pour ces gens, qui sont nos compatriotes, nos amis, les membres de notre famille, nos voisins, ç’a été un choix important et utile, et ce quoi qu’on pense de la teneur de ces vérités, de la réalité qui a dicté leurs choix. Ce sont des individus réels, faits de chair et de sang, qui ont pris cette décision, qui se sont déterminés rationnellement en fonction des informations qui sont parvenues jusqu’à eux.

Le problème, ça n’est donc pas que les gens seraient bêtes et crédules, mais le fait qu’ils aient accès à une information complètement différente. Une information par laquelle la réalité n’est rendue accessible que par un prisme pro-gouvernemental (soyons clair, selon eux, c’est moi qui ne voit pas la réalité), mais que les gens tiennent pour comptant, et dont dérivent ensuite leurs choix.

Ce dont il faut aussi se rendre compte, à la suite de ce référendum, c’est que ces gens ne sont pas tous pro-Fidesz et les «pro-Fidesz» n’ont pas forcément tous voté en faveur du parti gouvernemental. Le Fidesz a provoqué ce référendum sur le seul thème qui lui était favorable, et il serait assez improbable que la majorité des gens vote en sa faveur sur des questions comme le système de santé, l’éducation, la pauvreté (c’est ce qui ressort en tout cas des enquêtes d’opinion sur ces thématiques).

Ce qui est sûr également, c’est que l’on ne peut pas ne pas prêter attention à l’expression d’un bloc de 3 millions de personnes, tout comme on ne peut pas ignorer le caractère invalide du scrutin. Dans le vrai monde, ces deux réalités cohabitent.  Ce qui s’est effectivement passé, c’est qu’une partie significative des Hongrois a exprimé son refus d’accueillir des réfugiés dans le pays, mais que dans le même temps, le Fidesz n’est pas parvenu à atteindre l’objectif qu’il s’était lui-même fixé. Il n’est pas parvenu à rendre valide le référendum, en dépit d’un budget de 15 milliards (de forint) pour la campagne, en dépit des mensonges et en dépit des triches relatées avant la tenue du scrutin (campagnes financées par les collectivités locales, mobilisation de salariés de l’État, corruption des électeurs avec de l’argent et de la nourriture).

Dès lors, la question est de savoir s’il est possible d’unifier le pays et ces deux réalités. A celle-ci, la mauvaise réponse serait à coup sûr d’ignorer la volonté de 3 millions de personnes, d’un tiers du pays, tout autant qu’elle serait de traiter de traîtres à la patrie, de réduire au silence tous ceux qui dans l’espace politique n’auraient pas voté selon les desiderata du Fidesz.

Ces deux opinions ne font qu’exacerber ces réalités parallèles, que renforcer la situation d’une Hongrie coupée en deux. Quel que soit le vote ou le non vote des gens, personne qui vit dans ce pays n’est un traître à la patrie, un mouton, un ignorant, quelqu’un qui souhaiterait la défaite de la nation, ou bien un agent de l’étranger. Dans les faits, en Hongrie nous sommes amis, voisins, compagnons de route… Et ce pays ne peut bien fonctionner que si nous agissons en conséquence.

Respectons le vote des uns et des autres, essayons de briser ce no go zone politique, de comprendre les motivations de chacun et de vivre les uns aux côtés des autres avec des orientations politiques qui permettront de réunifier le pays. Il n’y a pas d’autre voie. Toute autre route conduirait la Hongrie dans le mur.

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András Jámbor

Journaliste

Membre de la rédaction de Kettős Mérce

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